Je ne sais pas si tu te souviens, quand la balançoire volait trop haut les jours d'été, et que le jardin sentait l'herbe fraichement coupée. Je crois que tu as oublié, mais moi je les entends encore, nos rires, quand on basculait nos têtes en arrière jusqu'à avoir mal au cœur. J'envoyais toujours mes pieds haut, très haut. J'enlevais mes souliers vernis, et je tendais les orteils jusqu'au ciel. Et toi tu riais, et tu me disais déjà "lance toi, vas-y, vole". Alors je lâchais prise, dans une confiance infinie, je lâchais prise et m'accrochais à la douceur de ma naïveté. Mes doigts glissaient de la corde verte et rose, et je retombais sur les fesses, sur les genoux et tu t'arrêtais de rire, le regard grave. Tu ne savais pas très bien si je riais ou si je pleurais, si je t'en voulais ou pas et tu épiais le moindre de mes gestes. Tu ne te souviens sans doute pas, mais je me relevais toujours, sautais sur ton dos, roulais dans l'herbe et retournais sur la balançoire. J'avais ce sourire, celui que tu n'avais plus. Je te l'avais volé, j'étais fière, j'avais mon moment de gloire. Tu étais plus vieux que moi, et tu avais cet air soucieux, celui des grandes personnes. Tu me grondais un peu, pour ma bêtise, mon insouciance et je te rendais ton sourire, je reprenais ta peine. J'avais l'air tellement petite à côté de toi. Trop peut-être, oui c'est ça. Trop. L'excès partout, l'excès de rage, le trop peu d'amour. Parfois tu arrachais une fleur ou deux, me l'accrochais dans les cheveux, un baiser sur le nez et tu partais après m'avoir promis qu'un jour, je m'envolerai pour de bon. Tu n'es plus jamais revenu. La balançoire ne vole plus, elle grince parfois comme pour rappeler qu'il y a eu une vie, avant. Il n'y a plus nos rires pour l'entourer, il n'y a plus mes souliers vernis déposés dans l'herbe, il n'y a plus rien, même plus toi. J'ai passé des années à t'attendre, des années à essayer de comprendre et un jour on a jeté les souliers, on a planté d'autres types de fleurs, des plus belles, avec des odeurs encore plus envoutantes, et tu vois, cette fois, je suis celle qui oublie, celle qui ne se souvient plus, ou presque.
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